L’histoire de Jean Giraud ou Moebius, l’un des plus grands dessinateurs de la bande dessinée
L’artiste Jean Giraud était principalement connu pour son travail en bande dessinée sous deux pseudonymes. Sous le nom de Giraud, le co-créateur de Blueberry, l’une des bandes les plus populaires de France, son coup de pinceau était détaillé et réaliste ; et sous le nom de Moebius, il utilisait des crayons complexes et visuellement saisissants pour explorer le subconscient dans ses créations Arzach, Le Garage Hermétique ou encore L’Incal.
Mais Jean Giraud, qui est décédé d’un cancer à l’âge de 73 ans, a eu un impact sur les arts visuels qui allait au-delà de la bande dessinée. Il était considéré comme une figure de proue reliant les bandes dessinées au modernisme et au nouveau réalisme. En tant que co-créateur du magazine Métal Hurlant, il a fait découvrir la bande dessinée à un public plus âgé et plus cultivé. Au cinéma, ses fans vont de Federico Fellini à Hayao Miyazaki et son style a influencé des dizaines d’autres personnes, dont Ridley Scott, George Lucas, James Cameron et Luc Besson.
L’enfance de Jean Giraud
Giraud est né dans une banlieue de Paris. Ses parents divorcent quand il a trois ans et il grandit à Fontenay-sous-Bois avec ses grands-parents. Il commence à dessiner des illustrations et des bandes dessinées au début de son adolescence et vend sa première histoire à l’éditeur Jacques Dumas (plus connu sous le nom de Marijac) à l’âge de 15 ans. À 18 ans, après deux ans d’études à l’École des Arts Appliqués de Paris, il commence à réaliser des dessins pour la publicité et la mode, ainsi que sa première bande dessinée importante, Les Aventures de Frank et Jérémie, pour le magazine Far West.
Lorsque sa mère déménage au Mexique pour se remarier, Giraud la rejoint pour neuf mois et se trouve inspiré par les paysages désertiques. Il rentre en France pour faire son service militaire et dessine pour un journal militaire pendant son séjour en Allemagne et en Algérie.
À sa libération, il rend visite à l’artiste belge Joseph Gillain, qui l’engage comme assistant sur la bande ouest du Printemps de Jerry. En 1961-62, Giraud travaille également à l’ouvrage documentaire L’Histoire des Civilisations et réalise des illustrations pour le magazine satirique Hara-Kiri, où il utilise pour la première fois la signature de Moebius.
Les débuts de Blueberry
Giraud rencontre Jean-Michel Charlier, rédacteur en chef de la toute nouvelle revue Pilote, et est invité à dessiner la nouvelle bande western de Charlier mettant en scène le lieutenant Blueberry. Blueberry est le surnom de Mike Donovan, un lieutenant de la cavalerie américaine basé à Fort Navajo, où il doit constamment lutter contre les trafiquants d’armes et les tribus amérindiennes. Dessiner et parfois colorier Blueberry occupe la majeure partie du temps de Giraud pendant la décennie suivante, à la fin de laquelle il souhaite explorer de nouveaux territoires. Il écrit un certain nombre de nouvelles pour Pilote, notamment La Déviation et L’Homme Est-il Bon, explorant différents styles de narration et laissant libre cours à son imagination.
Moebius et ses histoires fantastiques
Après un nouveau volume de Blueberry, Giraud s’associe à d’autres pour fonder les Humanoïdes Associés et publier Métal Hurlant. Métal Hurlant, comme on l’appelle en traduction, attire rapidement les créateurs de bandes dessinées Richard Corben, Jacques Tardi, Vaughn Bode, Serge Clerc et Enki Bilal. C’est dans les pages de Métal Hurlant que Moebius expérimente des histoires non narratives (Arzach) et non linéaires (Le Garage hermétique), développant nombre des images iconiques qui feront des bd de Moebius une telle influence – la figure d’Arzach survolant un paysage extraterrestre stérile sur un ptérodactyle, ou le Major Grubert casqué, figure centrale du Garage hermétique.
Son inspiration au service du cinéma
Les récits expérimentaux de Giraud ont également séduit le cinéaste Alejandro Jodorowsky qui, en 1975, tentait d’adapter l’épopée politique, écologique et religieuse de la science-fiction de Frank Herbert, Dune. Bien que cette adaptation n’ait finalement pas abouti, Giraud a rencontré le superviseur des effets visuels Dan O’Bannon, qui a ensuite écrit le scénario d’Alien. Son réalisateur, Ridley Scott, a fait appel à une grande partie de l’équipe créative du projet Dune avorté de Jodorowsky – dont Giraud, Chris Foss et HR Giger – pour concevoir ce qui est devenu un classique de la science-fiction et de l’horreur.
Jean Giraud peut désormais partager son temps entre ses différents personnages : Giraud peut reprendre les rênes de Blueberry, qu’il écrit et dessine après la mort de Charlier en 1989. Il signe également quatre volumes d’un autre héros de l’Ouest, Jim Cutlass, dessinés par Christian Rossi. Moebius, quant à lui, se lance dans l’histoire en plusieurs volumes de l’Incal, qui débute dans Métal Hurlant en 1980. Écrite par Jodorowsky, l’histoire se déroule dans un empire galactique dystopique où les dirigeants, les rebelles et les extraterrestres sont tous à la recherche d’un cristal d’énergie qui est tombé entre les mains d’un détective privé désaxé, John Difool. Cette simple prémisse est à la base d’un chef-d’œuvre d’inventivité sans fin, une aventure galactique au rythme effréné qui, en même temps, retrace l’évolution philosophique et spirituelle de Difool.
Pendant ce temps, Giraud est sollicité par l’industrie cinématographique en tant que concepteur, scénariste et même réalisateur. Il a notamment travaillé sur les films d’animation Les Maîtres du Temps et Little Nemo : Adventures in Slumberland, les films de science-fiction et de fantasy en prises de vue réelles Tron, Les Maîtres de l’univers, Willow, Abyss et Le Cinquième élément, ainsi que le film hybride en prises de vue réelles et en dessins animés Space Jam. Pour la télévision française, il a réalisé les dessins animés Arzak Rhapsody et La Planète Encore. Son histoire Cauchemar Blanc a été filmée en 1991 ; un film Blueberry est sorti en 2004.
Dans les années 1980, Giraud a passé beaucoup de temps aux États-Unis (et, brièvement, à Tahiti et au Japon), où nombre de ses meilleures œuvres ont commencé à être traduites. Ses relations avec Marvel l’ont amené à illustrer les deux parties du Surfer d’argent, écrit par Stan Lee.
Dans les années 1990, il collabore à nouveau avec Jodorowsky sur la trilogie Le Coeur Couronné et Griffes d’Ange. La suite du Garage hermétique, L’Homme du Ciguri, paraît en 1995 et Giraud, bien qu’occupé par ses scénarios et ses dessins pour Blueberry et Jim Cutlass, parvient à produire d’autres œuvres de Moebius, dont une suite d’Incal, Le Nouveau Rêve (2000), et Ikaru (Icare, 2001) dessiné par Jiro Taniguchi.